23 May 2007

L’impossible portrait-robot

Dans les petites (ou monumentales) annonces d’offres d’emploi, nous découvrons le plus souvent ce que l’on appelle une « Job description », c’est-à-dire le profil de formation, de diplômes, de compétences et de références en tous genres nécessaires pour espérer obtenir l’emploi. Dans une enquête policière, pour retrouver un suspect, l’on recourt au portrait-robot, qui permet de préciser, d’affiner les recherches. Existe-t-il une « job description », un portrait-robot pour l’emploi de chef d’orchestre ?

Les trois premières journées du Concours Evgeny Svetlanov nous ont permis de découvrir dix-huit candidats, et le moins qu’on puisse dire, est que le « chef d’orchestre » n’appartient pas à un « type » strictement défini, dont on connaîtrait et maîtriserait toutes les caractéristiques !

L’âge ? Le plus jeune a vingt-quatre ans, les deux plus âgés trente-sept. L’origine nationale ? Comme nous l’avons déjà signalé, ils viennent d’un peu partout. La formation ? Elle aussi est multiple, certains candidats la prolongeant et la diversifiant chez des maîtres eux-mêmes de toutes origines, conceptions et préférences musicales. Le physique ? Il y a des petits secs, des enveloppés, des grands baraqués ou des maigres. L’uniforme ? Chemise et pantalon noirs sont plutôt privilégiés. Le caractère ? Certains sont du genre agité, d’autres étonnamment placides. Impossible portrait-robot donc ?

Non, pas exactement, car tous, quand ils nous « accrochent », quand ils nous convainquent, quand ils nous émeuvent, manifestent un certain charisme – qui n’est pas extraversion, mais qui ressortit d’une mystérieuse « présence ». Tous ont une grande expressivité, une remarquable précision dans leurs jeux corporel, gestuel et mimique : les regarder, c’est souvent comprendre ce qu’ils veulent, voir à qui ils donnent le son et ce qu’ils désirent obtenir comme réponse, ou ce qu’ils font comme proposition. Tous sont « musiciens », et ce mot n’est pas un pléonasme : ils nous font réellement entendre ce que peut receler une partition, ce qu’ils y ont ressenti et trouvé, ce qu’ils veulent partager.

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Et comment donc les candidats de ce mercredi 23 mai nous sont-ils apparus ?

Rossen Gergov (Bulgarie, 26 ans) – premier mouvement de la septième symphonie – a de très beaux gestes, amples, maîtrisés, qui clarifient son propos. Il progresse tranquillement dans son interprétation. Il dialogue avec des membres de l’orchestre (passant de l’anglais au français), leur donne des indications orales en continuant à diriger, est demandeur d’une lecture « brillante » de la partition. L’orchestre le comprend, comme en témoigne l’évolution des reprises.

Alexey Osetrov (Russie, 34 ans) – premier mouvement de la troisième symphonie – ne parle pas, lui : il dirige le mouvement, sans interruption, jusqu’à son terme. Pour caractériser sa prestation, nous reprendrons les mots du Maestro : « Un chef doit transmettre sa volonté à un orchestre par le geste, le regard et le mimétisme. Il doit transmettre une impulsion de volonté et d’énergie. Les paroles prononcées doivent être réduites autant que possible ». Le mouvement terminé, et alors que son temps de passage n’est pas épuisé, tâche accomplie, Alexey Osetrov quitte le plateau.

Vasily Valitov (Russie, 30 ans) – premier mouvement de la troisième symphonie – tire profit de la disponibilité d’un orchestre très à l’aise, au presque terme de la première phase des éliminatoires, dans les partitions beethovéniennes. Il alterne parcours d’ensemble et révision de points de détail.

Kaspar Zehnder (Suisse, 37 ans) – premier mouvement de la troisième symphonie – a déjà du métier. Bien calé sur ses jambes, le geste mesuré mais extrêmement net, il attaque le mouvement à vive allure, sans rien perdre pourtant des nuances ni de la clarté. Soucieux des intonations des différents pupitres, il les fait travailler séparément et il nous confirme alors que c’est du souci des détails que naît la réussite de l’ensemble.


Stéphane Gilbart et Suzanne Faber

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