27 May 2007

Vue sur l’orchestre, vu de l’orchestre

Vue sur l’orchestre, vu de l’orchestre

Un musicien, c’est aussi un instrument qui, dans certains cas d’ailleurs, a un réel rôle à jouer, et nous nous souvenons du bonheur de Renaud Capuçon d’être devenu le dépositaire du Stradivarius « Vicomte de Panette » d’Isaac Stern. Un chef d’orchestre, c’est aussi un orchestre. Et au moment où la première édition du Concours Evgeny Svetlanov va livrer son résultat, nous aimerions saluer l’excellent « outil de travail », l’instrument remarquable qu’a été pour les candidats l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, l’OPL.

Pendant une semaine, il s’est plié aux injonctions des dix-huit sélectionnés, des dix demi-finalistes, des quatre finalistes. Il a joué le jeu, « s’engageant » dans un travail limité dans le temps et sans la perspective d’un concert ou d’une série de concerts. Toujours, au cours de ces longues journées, l’orchestre a fait preuve d’une extrême disponibilité, très attentif. Son programme était lourd : les Beethoven, Tchaïkovski, Bartok, Svetlanov et Rachmaninov imposés, la quarantaine de propositions initiales pour les œuvres librement choisies par les candidats (du « beau » travail aussi pour son bibliothécaire et son régisseur).

Cette disponibilité, cet engagement – ce professionnalisme – nous ont valu de beaux moments d’intensité et d’émotion musicales.

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Nous avons rencontré deux de ses musiciens qui nous ont donné un point de vue venant de l’intérieur de l’orchestre.

Philippe Koch, son Konzertmeister, rappelle d’abord que l’OPL a déjà été l’« instrument », et cela à plusieurs reprises, d’un concours de direction d’orchestre, celui de Besançon. Il se réjouit de sa semaine de travail avec des candidats aux personnalités, aux tempéraments si différents, manifestant rapidement leur tendance « musicale » ou « technicienne ». Le Svetlanov, une pièce brève dix fois répétée a ainsi offert un éventail de tempi, de phrasés, d’impulsions, de mise en évidence de telle ou telle voix, d’intérêt ou non porté à son intervention en solo de premier violon. Philippe Koch revient sur la difficulté du travail pour l’orchestre et salue la disponibilité, l’attention, la sympathie de ses camarades pour les candidats, et parle même de leur « bravoure », l’orchestre étant parallèlement engagé dans d’autres prestations tout à fait différentes : jazz symphonique, projet avec des jeunes.

Damien Pardoen, l’un des premiers violons, souligne que si un Beethoven, par exemple, ne pose pas de problème à l’orchestre, il lui faut belle énergie et solide investissement pour s’approprier rapidement des pièces moins jouées et sous des conduites pas toujours assurées, révélatrices de l’éternel antagonisme entre directions de technique contrôlée et de musicalité proclamée. Il a beaucoup apprécié le téléscopage si rapide des différents types de direction : gestuelle, explicative, charismatique. Il insiste, exemples à l’appui, sur la façon dont l’orchestre s’est voulu « neuf » à chaque fois pour chacun des candidats.

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Mais place aux finalistes. Une heure dix était accordée à chacun pour présenter une œuvre imposée : la deuxième ou la troisième symphonie de Sergei Rachmaninov, et une œuvre choisie par le Jury parmi trois propositions personnelles.

Roberto Forés Veses (Espagne, 36 ans) a choisi la deuxième symphonie de Rachmaninov. Il s’interrompt régulièrement pour commenter son point de vue et donner des indications à l’orchestre, en tout ou en parties. Ce qu’il nous propose est sans grand relief, malgré quelques plus solides montées en crescendo, quelques points de vue plus marqués ; c’est qu’aujourd’hui, il reste comme « en retrait ». Une impression que confirme sa première symphonie de Brahms. Le jeune chef - sa façon de resserrer les épaules et de réduire l’amplitude de ses gestes le prouve - semble gagné par un trac qui atténue l’élan et le jeu de nuances de son interprétation.

Rossen Gergov (Bulgarie, 26 ans) commence, lui aussi, par la deuxième symphonie de Rachmaninov. Il dirige d’une baguette nerveuse et précise, fournit des explications tantôt en anglais tantôt en français ; il a de la « présence ». « L’Oiseau de feu » est manifestement pour lui, un « cheval de bataille ». On sent qu’il a préparé – et même minuté – son intervention. Il est très soucieux des contrastes de rythme et de climat, mais à un point tel que, ayant fait le choix du brio, il en arrive à trop ralentir ou accélérer, trop alléger ou souligner des séquences, au détriment d’une cohérence de l’ensemble.

Debora Waldman (Israël-Brésil, 29 ans) a décidé de commencer sa prestation par la deuxième symphonie de Brahms. Très vite, elle interrompt l’orchestre pour revoir des détails de son interprétation. Ses premières explications sont intéressantes en ce sens que non seulement elle parle, mais que ses mains transcrivent et imagent ce qu’elle dit. Elle s’exprime et dirige tranquillement. Elle fait retravailler les cordes, encore et encore. Mais en fait, et cela va se confirmer dans son travail sur la troisième symphonie de Rachmaninov, elle ne quittera pas ce « régime dissocié », cette approche « pointilliste » de son rapport à l’orchestre. Son souci du détail est tel que le public n’aura pas l’occasion d’entendre une longue séquence des mouvements étudiés.

Benjamin Ellin (Royaume Uni, 27 ans) commence par son morceau imposé, la deuxième symphonie de Rachmaninov. C’est un chef serein, qui communique sa sérénité à l’orchestre. Chez lui, pas ou peu de paroles : il fait exécuter tout le mouvement, le marquant nettement déjà de sa vision personnelle. Quand il reprend un passage ou l’autre, on constate que l’orchestre l’a suivi et que l’interprétation de l’oeuvre a pris de l’ampleur et s’est densifiée. Benjamin Ellin nous propose ainsi rapidement une vision cohérente, unifiée du mouvement. Dans les « Variations sur un thème de Haydn » de Brahms, une pièce que l’orchestre n’a plus travaillée depuis longtemps, il fait preuve des mêmes qualités.


Le Jury s’est retiré pour délibérer…

Stéphane Gilbart

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